Pour ce numéro de novembre, Pegase-21 s’intéresse à la photographie !
Francine Aubry parcourt le monde, appareil photo en bandoulière, souvent en milieu extrême (toundra, désert, jungle), à la rencontre des minorités.
Ses destinations sont associées à des projets humanitaires portés par l’Association Objectif Monde dont elle est présidente.
Reportages, expositions, éditions de livres et conférences-diaporamas témoignent de son engagement à défendre les minorités souvent nomades et contribuent à informer et sensibiliser le public à leur situation.
Ses photos, à travers un regard, un sourire, une expression, une attitude, pleines d’humanité, nous touchent au plus profond de nous.
La photo fait partie de ton enfance ?
J’avais dix ans quand je me baladais dans les rues du Mans avec mon père. Il n’était pas photographe mais il était passionné de photographie et m’a transmis sa passion.
Il possédait un Rolleiflex 6/6 que j’utilisais en écoutant ses conseils. C’est un appareil argentique, mécanique et manuel très performant. C’est un plaisir de l’utiliser mais il faut prendre son temps pour les réglages, les différentes lumières, le flou d’arrière plan qui valorise le sujet, et une grande quantités de détails que nous n’avons pas avec un numérique. Il faut juste s’habituer à la visée qui inverse le sujet (droit vers gauche)
Équipé d’un seul objectif, cela évite d’en transporter plusieurs. Il est très bien pour les portraits et paysages.
Plus tard, mes sujets préférés ont été naturellement mes trois enfants. Mon appareil était constamment posé sur la cheminée du salon, toujours prêt à l’emploi. Je l’emmenais dans mes bagages à chaque voyage.
La Yakoutie est un territoire russe situé au nord-est de la Sibérie d’une superficie équivalente à celle de l’Inde. Pourquoi avoir choisi de faire un reportage dans l’une des régions les plus froides du globe ?
En 2001, lors d’un concert de musique traditionnelle à Chartrette en Seine et Marne, j’ai rencontré Mariana, professeur de français à l’université de Yakoutsk. Mariana est yakoute et venait en France pour organiser des concerts avec ses étudiants et des musiciens français.
A l’époque, je dirigeais une école de musique à Vitry-sur-Seine, où je donnais aussi des cours de piano. Je lui ai proposé d’emmener mes élèves et de faire des échanges scolaires.
Comment s’est déroulé ce voyage ?
Nous sommes partis en 2001, mon mari et moi, accompagnés de deux jeunes pianistes, parmi mes élèves, qui avaient été sélectionnés pour la qualité de leur travail. Il fallait aussi que les parents puissent payer un tel voyage!
Mon mari m’accompagnait souvent dans les voyages. Pâtissier, puis moniteur d’auto-école, puis responsable d’une société de transports d’analyses médicales…. il n’avait rien à voir avec la musique mais il animait les concerts de fin d’année de mon école.
La première partie du voyage s’est faite en bus de Paris à Moscou, puis nous avons pris l’avion pour Yakoutsk. Nous avons été accueillis par un représentant du Ministère de l’Éducation Yakoute et par Veronika, professeur à l’Université. D’abord hébergés à l’École Supérieure de musique, nous avons ensuite été reçus dans les familles.
Pour le retour, nous avons pris l’avion jusqu’à Irkoutsk, puis gagné Oulan-Oudé, et sommes revenus à Moscou par le Transsibérien. Ce fut une très belle aventure.(2001)
Sur place, j’ai pu parler de nos actions solidaires à la télévision pour pouvoir bâtir un projet avec les nomades. Suite à cette intervention, nous avons été sollicités pour des aides, et cela continue encore aujourd’hui !!!
Les premiers échanges se sont faits entre l’école Sakha-française de Khamagatta et l’école primaire de Morsang-sur-Seine, dans l’Essone, puis avec le lycée de La Ferté-Bernard et le collège de Vibraye, dans la Sarthe.
En ce qui concerne les nomades, je suis partie seule. D’abord en avion jusque Chersky, puis en bus jusqu’à Kolimskoe sur la rivière Kolima et un autre bus jusqu’à Andriouchkino, loin dans la toundra. J’ai été accompagnée depuis Chersky par Oxana, professeur de français à Andriouchkino. C’est là que vivent les Youkaguires (le peuple des glaces), chasseurs et pêcheurs, membres des derniers clans de la taïga, devenus très minoritaires.
J’ai été logée chez l’habitant, dans une « yaranga » ou yourte, habitat traditionnel des tchouktches. Dehors il faisait – 56° et si j’avais des vêtements en peau de rennes plutôt chauds, il m’a fallu cacher mon nez sous peine qu’il ne gèle !
J’ai rencontré les éleveurs de rennes qui sont de moins en moins nombreux à cause du développement technologique. Il ont besoin de médicaments Leurs femmes avaient créé un atelier de couture dans la région de Tiksi, au bord de l’océan arctique, à 1600 km de Yakoutsk. Elles ont formé un groupe de couturières pour produire des chapkas, des vêtements en fourrure… S’il y a des débouchés sur les marchés régionaux : Mirni, Oudachni, Haïkal, le problème reste le transport du matériel, les fournitures et les distances.
Je n’ai jamais eu de problèmes pour faire des photos, nous sommes généralement très bien accueillis et je suis toujours accompagnée de mon interprète.
Évidemment à cause du froid, j’enveloppais mon appareil Nikon d’une polaire et j’enlevais la batterie très souvent. Je le mettais dans mon anorak et ne le sortais que lorsque je voyais un sujet intéressant. J’ai réussi à faire des photos à moins 52 degrés, mais j ai préféré stopper !!
A Yakoutsk, nous avons eu la chance de voir des danses traditionnelles et de pouvoir visiter l’Opéra. J’ai d’ailleurs réalisé un reportage photo sur la danseuse soliste qui est également Directrice de l’école de danse de l opéra de yakoutsk.
Finalement au cours de mes différents voyages en Yakoutie, j’ai pu partager les sourires de nombreuses ethnies : Evenes, Evenks, Tchouktches, Yukaguirs, Dolganes, Yakoutes ou encore Bouriates.
Après la glace… le sable chaud ! Tu vas à la rencontre des nomades du désert de Mauritanie ?
En Mauritanie, Objectif-Monde a des projets dans les zones désertiques du pays : construction d’une école pour les nomades, d’un château d’eau, forage de 2 puits dans l’Adrar et dans le Trarza au centre du pays, installation d’un système d’irrigation pour la maraîchage, panneaux solaires, coopérative des femmes, et bientôt plantation d’arbres fruitiers et élevage d abeilles.
Quelles ont été tes autres destinations ?
Le sud marocain où j’ai rencontré là aussi des nomades du désert en compagnie du directeur de l’enseignement de Midelt, une ville du sud-est du pays dans le haut-Atlas oriental. Un projet d’école n’a malheureusement pas abouti, mais nous avons pu visiter plusieurs campements.
L’Inde, où nous intervenons depuis 2005 dans l’état de Tamil Nadu (le pays des tamouls) dans le sud du pays.
L’association Objectif-Monde a réalisé différents types d’actions : achat de vaches, de chèvres, de fournitures scolaires, de machines à coudre, des ustensiles de cuisine et la construction d’une école dans le village de Sathya Nagar. Nous avons aussi créé un atelier de couture et installé une briqueterie pour l’ethnie des Irulas.
Les projets sont maintenant terminés mais Je sais que je n’oublierai jamais le visage de ces enfants que j’ai vu grandir, ni celui de leurs parents.
Le Cameroun où vivent les Pygmées, une minorité marginalisée par rapport à la population du pays. Aucun programme n’a malheureusement pu être mis en place faute de trouver un partenaire local.
Le Sénégal où j’ai rencontré les ethnies « Bediks » et « Bassari », installées à l’extrémité Est du pays, dans des zones difficiles d’accès. Un projet de forage de puits a été élaboré mais des soucis avec le partenaire sur place ont empêché sa réalisation.
© Francine Aubry
L’île de Sumatra à l’ouest de l’Indonésie. Objectif-Monde a permis l’achat de filets de pêche, de barres en bois pour la pêche, d uniformes pour les enfants appartenant à l’ethnie des « Duanus ».
En ce qui concerne la Roumanie, je parcours le pays depuis plus de trente ans. Dès 1990, nous avons travaillé avec les enfants des rues et c’est comme cela que j’ai pu apprendre la langue. Ensuite la photo a toujours été un moyen de m’approcher des gens, en m’asseyant comme ils ont l’habitude de le faire, sur un banc et en les abordant.
Nous aidons surtout les tziganes, parrainons des enfants, octroyons des micro-crédits ou apportons une aide matérielle, par exemple, pour l’achat d’une maison sociale à Crucea dans le département de Iasi. Une maison sociale est une maison où l’on héberge une famille pour la dépanner dans l’attente d’une solution durable.
Nous avons développé un partenariat avec l’Association « Du Nord Pour Le Sud » de Villeneuve-sur-Lot pour construire une serre sur le terrain jouxtant l’école de Crucea, elle est gérée par le professeur de sciences et ses élèves.
A Céuàs (Czàvàs en hongrois), dans le département de Mures en Transylvanie, nous avons construit une école et réalisé plusieurs actions. Alexandra Beaujard et Tocila, musiciens du groupe « Nadara Gypsy Band » sont nos partenaires sur place.
Avec Tocila et son fils Alin Lambor, 100 arbres fruitiers ont été plantés pour une autonomie alimentaire en fruits et apport de vitamines.
Nous avons également construit une maison adaptée pour un jeune paraplégique de Glod, dans le commune de Moroieni (région Dâmbovita)
© Francine Aubry
© Francine Aubry
Ensuite, il y a les voyages avec des amis photographes que j’organise pour découvrir des lieux que nous ne connaissons pas. C’est le cas, entre autres, de Botiza dans le Maramures, ou de Moisei, un voyage après une mission.
L’accueil des habitants est chaleureux, et je suis toujours révoltée de constater que la réputation de ce beau pays et de ses habitants est injustifiée.
Tes photos captent souvent des regards, tu es très attirée par les expressions des visages… et techniquement elles sont très réussies, quel est ton secret ?
Tout se fait naturellement, c est mon oeil et le coeur…… je ne sais pas expliquer…. Tout est lié à ma sensibilité et mon ressenti, sans chercher quoi que ce soit.
Tu donnes à tes sujets une place qu’ils n’ont pas dans la vraie vie ?
Tant mieux si cela fait réfléchir les personnes qui les regardent, je fonctionne à l’affectif et j’aime les gens, surtout les plus démunis, donc si, par mes photos, ils EXISTENT, c’est bien. Si une de mes photos sensibilise une seule personne, j’en suis déjà très heureuse !!!
Je suis souvent en colère et triste devant le désarroi des personnes que je rencontre, je fais en sorte de saisir leur détresse, mais comme je le dis, sans me poser de questions, disons avec l’oeil du cœur !!!!
Mais tu ne traduit pas toujours la détresse, il t’arrive d’exprimer la beauté et la joie ?
Tu as présenté des expositions de tes photos en France et dans plusieurs pays, quelle a été la réaction du public ?
Je n’ai eu aucun retour négatif. Les gens sont étonnés de voir une femme d’un certain âge aller dans des régions extrêmes, très froid ou très chaud !
Tu as reçu des parrainages prestigieux : Nicolas Vanier, Julien Cendres et Piem ! Est-ce une reconnaissance de ton travail à la fois humanitaire et artistique ?
Les deux, ils ont été très sensibles à notre programme « Dessinons pour la planète » et ont accepté volontiers de le parrainer
Plusieurs livres ont été édités, ils permettent de rassembler des fonds pour d’autres projets ?
Non, car je ne sais pas vendre ! Les livres que j’ai édité sont principalement pour moi et mon entourage. Pour les fonds je préfère demander à des fondations.
© groupe NSEO Photographies
J’ai aussi écrit deux contes de Sibérie qui ont été édités par le ministère de l’éducation de yakoutie. Les illustrations ont été réalisées par les élèves de l’école de khamagatta. Ces livres sont distribués dans les écoles du pays.
Quelles sont les prochaines destinations et quelles sont les mesures à prendre dans ce contexte sanitaire difficile ?
Pendant cette période où il est difficile de voyager, je reste en France et travaille sur les projets à venir, fais du ménage dans mes disques durs, trie les photos, et prépare les programmes à venir en envoyant les dossiers à différents organismes.
Pegase-21 te souhaite de retrouver très vite la possibilité de voyager à nouveau et de nous offrir les émotions que tu sais si bien transmettre à travers tes photos
Merci infiniment Maurice je n avais pas vu le lien. Maintenant l envie folle de bouger… Des projets à venir..
Très beau reportage sur cette photographe du coeur dont les oeuvres humanitaires sont et resteront à la hauteur de sa générosité.
C’est très attachant tous ces magnifiques portraits.
Félicitations Francine.
La générosité de Francine n’a d’égal que son magnifique talent de photographe. On ne se lasse pas de regarder ses photos !