S’intéresser au travail de Myriam, c’est soulever un voile sur un monde de sentiments humains exacerbés. Elle explore les comportements dans l’espace chaotique des médias qui ont envahi notre vie quotidienne. Mais elle trouve aussi son inspiration dans la vraie vie, chez « les gens », qu’elle traite avec beaucoup de pudeur et de respect.
Son savoir-faire est expérimental, elle n’hésite pas à dépasser les limites des pratiques courantes.
Son propos est efficace et on ne sort pas indemne d’un voyage dans son univers à découvrir dans ce numéro d’août 2021.
La place du portrait semble très importante dans ton parcours ? L’environnement dans lequel il s’inscrit également ?
Oui, elle l’est. Et l’environnement dans lequel s’inscrit le portrait est pour moi la découverte d’un univers, d’un lieu de vie où j’y rencontre ses habitants. Ces portraits sont bien souvent réalisés lors d’une résidence artistique.
A travers les thèmes abordés, c’est l’être humain, l’individu dans toute sa complexité, ses paradoxes, qui m’intéresse et me questionne.
Peux-tu nous parler de « Hidden portrait » ?
La série « Hidden portrait » a démarré en 2010 en remarquant de façon constante l’apparition de portraits cachés d’une manière ou d’une autre. C’est un constat que je faisais en parcourant la presse quotidienne et dans les différents médias que je pouvais consulter dans tous les domaines, publicitaire, médical, écologique, musical, juridique etc…
J’ai commencé à rassembler et mettre de côté régulièrement les images que je pouvais trouver et qui ont servi de matière à mon travail.
On pourrait croire que la série « Who are you ? » est inspirée par l’époque actuelle et l’obligation du port du masque, mais le thème est bien antérieur à la pandémie ?
« Who are you…? » est issu de « Hidden portrait ». La série est née d’une analyse faite à partir d’observations de longue haleine. Quelques uns de mes documents datent de 2006, mais j’ai aussi travaillé à partir de mes propres photos.
Qui est qui ? Peut on véritablement connaître quelqu’un ? Il y a plusieurs perceptions possibles selon le cheminement de chacun. Ce qu’on donne à voir et qui on est vraiment. Ces décalages et cette complexité m’intéressent.
Finalement, on ne peut jamais vraiment savoir qui est qui. Ainsi, je pourrais peindre plusieurs fois la même personne à partir d’une même photo, et obtenir une peinture d’un portrait différent à chaque fois.
dessin et huile sur papier cartonné 21 x 14,8 cm
© myriam.dib
« Who are you ? – On bicycle » a été sélectionné pour la 16 ème Biennale Internationale du portrait en Bosnie-Herzégovine. (ce dessin est issu d’une de mes photos et non de la presse).
Tu travailles surtout en fonction des projets que tu mènes avec différents publics ? Au delà des « hidden portrait » (portraits cachés), il existe plusieurs projets ayant pour thème les portraits ?
Oui, par exemple la série « Portraits de lecteurs », est une commande artistique de 2003 qui consistait à associer le portrait d’un lecteur à une phrase qui l’a particulièrement touché, extraite d’un livre de son choix.
et sa phrase de Francis Scott Fitzgérald
Les lecteurs étaient très variés autant dans leur choix de lectures que dans la tranche d’âge. Il y avait autant d’enfants et d’adolescents que des adultes de tout âge. J’en connaissais certains, pour les autres, c’est le bouche à oreille qui a fonctionné.
Les monotypes ont été réalisés dans mon atelier, à partir de photos que j’ai prises moi-même.
Ces portraits ont donné lieu à une exposition présentée au Musée de l’Hospice Comtesse de Lille dans le cadre de la 2ème édition de « Passions d’avril 2003 », intitulée « Les Mots Migrateurs ».
Pour Le projet « Portraits de résidents », où, quand et comment se sont déroulées les rencontres ?
Cela s’est passé en 2005 avec les résidents de la Maison de retraite d’Orchies. Avec l’accord au préalable de chaque résident et un échange verbal auprès de chaque participant, je prenais des photos, soit dans leur chambre pour ceux qui étaient immobilisés soit pour les autres, au sein de leurs différents lieux de vie commune, la salon, la cantine et même en extérieur.
100 portraits ont été réalisés en monotypes. Aimée Thirion, une artiste photographe qui faisait également partie du projet, a réalisé, elle, 100 photographies. 100 était le chiffre qui avait été déterminé avant le commencement du projet.
Les monotypes ont été exposés au sein de la Maison de Retraite. Il était prévu de faire tourner l’expo dans différents lieux et d’éditer un livre mais un changement de direction en cours du projet, n’a pas permis de donner suite à ce qui était prévu.
Maison de retraite d’Orchies / © myriam.dib
« Portraits de visiteurs » est un projet impliquant des personnes défavorisées ?
Démarré en 2008, le projet consistait à associer une pratique artistique axée sur le portrait avec les gens de passage à la boutique Solidarité de la Fondation Abbé Pierre à Valenciennes.
La Boutique accueille des personnes défavorisées. Elles peuvent prendre un café, bénéficier d’une coupe de cheveux, d’un douche, d’une aide administrative et y trouvent ce qu’il faut pour laver leur linge. Quelques unes de ces personnes sont sans domicile fixe, la plupart sont passés par cette phase.
J’ai rencontré ces personnes que j’ai nommé « les visiteurs » et mené un travail en lien avec ces rencontres. Avec le temps, mon idée a été de les changer de contexte et c’est ainsi que je les ai installés sur de grands fauteuils Louis XVI, tout en conservant mes impressions et mon ressenti sur le côté éphémère de ces instants et sur ces moments furtifs de réconfort et de répit que ces visiteurs viennent chercher.
Gravure à la pointe sèche + aquarelle sur photocopie
© myriam.dib
2008 / © myriam.dib
Les visiteurs, eux, ont réalisé, à partir de mes photos, des autoportraits à l’acrylique sur du papier cartonné gris. L’association « Interleukin » de Valenciennes a été le commanditaire d’un projet d’exposition à la Boutique avec l’objectif d’associer leurs réalisations à mon travail. Le vernissage a eu lieu en même temps que l’inauguration des nouveaux locaux.
de la Boutique Solidarité /© myriam.dib
Interleukin mène également des ateliers de pratique artistique au sein des locaux de La Fabrique des Arts de Denain, auprès des patients de l’hôpital psychiatrique.
La Fabrique des Arts a pu accueillir l’exposition des « Visiteurs » en septembre-octobre 2008 et les portraits des participants ont également pu être présentés dans d’autres lieux de la Fondation Abbé Pierre.
A partir des ces « visiteurs », j’ai commencé une série de portraits sur l’envers des motifs de papiers peints, c’était un peu les placer dans l’envers du décor ! D’autant plus que ça correspondait également, pour ces visiteurs, à leur propre changement de décor, puisqu’ils passaient d’un lieu vétuste à un espace très différent, plus spacieux.
J’ai ensuite poursuivi ce travail avec d’autres portraits que j’avais accumulés depuis 2001, date où , je peignais et dessinais juste des gens rencontrés ou pas, connus ou inconnus, une série de monotypes que j’ai intitulé « Des gens » et qui constituaient ma biographie en images, du moins c’est comme ça que je les voyais.
Certains de ces monotypes ont été utilisés pour la réalisation de mes papiers peints en sérigraphie chargés de portraits sur 42 rouleaux de 10 mètres sans raccord. Ce travail a été effectué en 2008 aux Ateliers d’éditions populaires chez Alain Buyse à Lille.
© myriam.dib
D’autres séries sont directement liées à une expérience picturale avec les intéressés, hommes ou femmes ou enfants ?
Oui, il y a eu un projet intitulé « Ça cartonne » en référence aux cartons utilisés par les personnes à la rue, qui mettait en lien des usagers de l’ABEJ (Association Baptiste pour l’Entraide et la Jeunesse) et des patients de l’EPSM (Établissement Public de Santé Mentale) de Tourcoing.
L’ABEJ-Solidarité est une association qui lutte pour que les personnes à la rue sortent de la spirale de l’exclusion.
Pour l’EPSM, c’est le médecin psychiatre Catherine Thévenon qui est à l’origine de ce projet. Swan Cazaux, un animateur artistique et les éducatrices des services de soins en santé mentale ont mené des ateliers au sein de l’ABEJ auxquels j’ai assisté durant plusieurs mois.
Femmes, hommes et enfants ont participé aux ateliers menés par l’animateur de l’EPSM et les éducatrices, dans lesquels je ne suis pas intervenue. Je me rendais sur place juste pour leur parler, les observer ou les photographier.
J’ai réalisé ma partie dans mon atelier, à l’issue de toutes les séances, et j’ai retracé ma vision du projet à travers une quinzaine de peintures à l’acrylique et à la peinture ardoise permettant au public d’intervenir sur les peintures.
La peinture-ardoise est une couche de peinture, de différentes couleurs, que j’applique à certains endroits de mes peintures afin que le public puisse intervenir dessus à la craie.
120 x 80 cm 2013 / © myriam.dib
Concernant « Les pères détenus », j’ai réalisé deux monotypes en 2010, après l’édition du livre « Nos chers enfants » comprenant des peintures créées par les pères détenus à la Maison d’Arrêt de Loos et de Sequedin. Ce projet a été mis en place par l’équipe du Relais Enfants-Parents qui, dans le cadre de sa mission de maintenir et renforcer le lien entre les enfants et leurs parents détenus, a fait appel à des artistes afin de réaliser un livre illustré.
L’objectif pour ces pères était de « faire un livre » à transmetre à leurs enfants, un livre conçu pour eux. Il a été réalisé à partir de photos des pères et de leurs enfants prises lors de séances « conte / lectures » destinées à réveiller les mémoires et menées par Valérie Dib, ma sœur aînée, conteuse et lectrice.
Le livre à été édité par « Le Monde d’Arthom » en 100 exemplaires en quadrichromie et offert aux détenus en novembre 2010.
Les monotypes ont été créés et exposés pour la sortie du livre présenté à la Maison Folie de Moulins de Lille avec l’équipe du Relais Enfants-Parents.
Beaudelaire-Académie s’est déroulé en 2014 lors d’un week-end « Portes Ouvertes ». Il s’agissait d’une exposition collective présentée dans la Galerie Le Cerisier à Paris. J’y ai présenté mes peintures interactives du projet « ça cartonne » afin que le public intervienne dessus à la craie, avec des textes ou des dessins.
Galerie Le Cerisier Paris / © myriam.dib
Toutes ces expériences entraînent souvent un travail personnel qui se poursuit dans ton atelier ?
Oui, c’est le cas des « visiteurs », c’est aussi le cas des résidents d’Orchies. Les rencontres avaient été fortes humainement et après avoir réalisé les 100 portraits, j’ai poursuivi un travail personnel à l’huile en sélectionnant quelques portraits qui ont donné les « Old persons » avec cette idée d’apparition/disparition.
à droite « appareance or disappearance ? » – huile sur toile 55 x 46 cm – 2006 / © myriam.dib
Dans tous les cas, les rencontres sont le moteur essentiel de ton travail ?
Rencontrer des individus dans différents lieux de vie, mener parfois avec eux un atelier de pratique artistique axé sur le portrait ou l’autoportrait, les prendre en photo lors des différentes séances d’ateliers m’apportent la matière première nécessaire pour m’imprégner de l’atmosphère d’un lieu pour ensuite travailler dans mon atelier. Ce sont des moments furtifs passés avec eux, et pourtant intenses et porteurs d’un travail que je développe dans le temps.
Dans ton approche, les personnages sont quelquefois sortis de leur environnement habituel, pourquoi ?
J’annule souvent le contexte de mes rencontres pour inscrire les individus dans un univers neutre ou nouveau et laisser au regardeur différentes possibilités d’interprétation. C’est le cas en particulier dans la série des « visiteurs » où des personnes sans logement fixe sont replacées dans un décor précieux, un salon Louis XVI par exemple.
Mais le sujet reste l’être humain, les différents mouvements de l’être humain dans notre société actuelle. Cela pourrait se passer ici ou ailleurs. Peu importe finalement le contexte géographique.
Dans « En mouvement », nous trouvons des gens en apesanteur, sautant ou rebondissant. Quelle en est la signification, que cherches-tu à exprimer ?
En 2004, j’ai démarré un travail sur le corps en mouvement à partir de sauts que j’ai effectué. Lors de ces sauts, j’ai subi une rupture complète du tendon d’Achille, qui m’a immobilisée durant une année.
De là, est née ma première série de peintures et monotypes de sauts. Puis deux ans après, j’ai fait de nouveaux sauts, cette fois sur un trampoline.
En 2016, au cours d’une sortie, je suis tombée sur un grand trampoline, place de la République à Lille où des sauts de plus de 10 mètres de hauteur étaient proposés au public. J’ai entrepris alors une série de photos, que j’exploite encore aujourd’hui.
2020 / © myriam.dib 2020 / © myriam.dib
Différentes notions m’intéressent dans ces sauts : l’élévation, la chute, faire la grand saut, pouvoir rebondir, la notion d’atterrissage, la prise de risque finalement les différentes étapes que l’on retrouve au cours de la vie humaine.
On voit quelquefois des autoportraits s’intercaler dans certaines séries, est-ce pour nous rappeler que toi aussi tu fais partie de cette chaîne humaine ?
Oui, j’ai ma place dans cette chaîne humaine. On peut voir des autoportraits dans les « sauts », ou encore dans une combinaison de scientifique qui me cache le visage en 2007, également mon visage « effacé » dans une série d’huiles sur papier de 2001, dans mes portraits de gens etc… L’autoportrait me permet d’aller plus loin dans ma recherche picturale puisqu’il s’agit de moi-même et peut-être de m’interroger … « quelle est ma place par rapport à autrui ?
Tu abordes une série « Family », où tu représentes les membres de ta propre famille, originaire d’Algérie ?
La série « Family » que j’ai commencée en 2001, représente des membres de ma famille que je ne connais pas, du côté maternel et paternel. J’ai travaillé à partir de photographies que mes parents m’ont montrées.
Mon père se trouve parfois sur les documents au sein de sa famille.
© myriam.dib
Mais j’ai des origines multiculturelles car j’ai aussi une famille allemande du côté maternel.
Certains membres de la famille sont représentés avec netteté, d’autres tendent à s’effacer… C’est le reflet de tes souvenirs ?
Non, car je n’ai pas de souvenirs. Ceux que j’ai peint, je ne les connais pas, en dehors de mon père, qui n’est pas toujours celui qu’on voit le mieux.
C’est plus la notion du portrait et de « qui est qui ? », qui m’amène à cette façon de peindre. Enfin, c’est le recul qui me permet de dire cela. Sous quel prétexte puis-je prétendre saisir ces individus sans les connaître malgré le lien familial ? A quel moment arrêter un portrait puisqu’il peut y avoir une multitude d’interprétations possibles ?
huile sur cadre de sérigraphie 21 x 41 cm / 2003
© myriam.dib
huile sur cadre de sérigraphie 21 x 41 cm – 2004-2006 / © myriam.dib
Pour toi, née en France, qu’est ce que l’Algérie représente ?
L’Algérie représente pour moi le pays d’origine de mon père mais je n’ai jamais eu l’occasion d’y aller malgré l’envie que j’ai, depuis l’enfance, de connaître ce pays et d’y découvrir les sources de mon père.
C’est pour cette raison que tu acceptes de participer à une exposition sur l’Algérie en 2003 ?
Cette exposition a eu lieu au 118, Boulevard de la Liberté à Lille dans les locaux du CEMÉA (Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Education Active, mouvement d’éducation populaire).
Elle s’inscrivait dans le cadre de l’année de l’Algérie en France instaurée en 2003 par les Autorités Françaises et Algériennes qu’on a appelé « El Djazaïr ».
J’ai été conviée, avec d’autres artistes comme Olivier Chattab, Abdelhakim Henni, Samir Leksouri ou Malika Zaknoun, à montrer mon travail en lien avec la famille algérienne.
Et c’est aussi ce qui a déterminé ton choix d’accepter une résidence d’artistes en Égypte en 2010 ?
Probablement, c’était une occasion de me rendre pour la première fois dans un pays d’Afrique.
Dans quelles conditions et où s’est réalisée cette résidence ?
Hany Rashed, un artiste plasticien du Caire, m’a contacté via facebook pour m’inviter à participer à un workshop autour du monotype.
J’ai été accueillie par le peintre Mohamed Abla, son maître, qui m’a prêté les clés d’un appartement où il stockait ses peintures.
Le workshop se déroulait chaque soir, au « Darb 1718 » le « Contemporary Art & Culture Center », situé dans un quartier du vieux Caire. Parmi les participants, il y avait d’autres artistes égyptiens ainsi qu’une artiste américaine.
Hany Rashed nous a fait découvrir sa façon de faire des monotypes. Il a amené différents documents en noir et blanc provenant de journaux égyptiens ou de livres, afin de se les approprier selon nos besoins graphiques et ce qu’on voulait exprimer.
© myriam.dib
Pendant la journée, ensemble, nous avons visité des expositions et découvert des galeries d’art. Seule, j’ai tenté de comprendre comment fonctionne la ville et ses habitants, d’en sentir les vibrations. Très vite, une tension forte s’est révélée, pas liée spécialement à moi mais plutôt une atmosphère générale pesante, sans que j’en comprenne vraiment la raison.
Que t’a apporté cette expérience ? Peut-on dire qu’elle a pu constituer un tournant dans ta vie ?
Le fait de ne pas connaître la langue arabe a été un obstacle. Je pense qu’il n’est pas évident d’être une femme seule en Égypte, même si on est artiste. Il existe des codes auxquels je n’ai pas eu accès lors de mon séjour et cela n’a pas facilité ma compréhension du pays.
72 x 52 cm – 2012 / © myriam.dib
Je ne sais pas si cela a été un tournant dans ma vie, il y a eu tellement de tournants. Cependant, il est vrai que cela m’a affectée, et j’ai ressenti le besoin de m’isoler en rentrant, afin de faire le point sur ce séjour. Mais j’étais satisfaite d’avoir pu me rendre dans un pays d’Afrique pour la première fois.
Est-ce que cette expérience a conditionné le travail qui a suivi ?
J’ai effectué quelques monotypes lors du workshop, comme « tendance burka », puis à mon retour, après un temps de recul, j’ai continué la série que j’ai intitulée « Tendance burka etc… » à partir de mes photos prises au Caire, mixées à des photos de presse.
réalisé lors du worhshop du Caire
à droite : Stop Moubarak – Feutre sur échantillon de toile 10 x 15 cm / 2011
© myriam.dib
La chute de Moubarak quelques mois après mon retour a bien confirmé le malaise que j’avais ressenti alors que les égyptiens prétendaient que tout allait bien.
Tu traites des sujets aussi différents mais graves dans leurs conséquences que le maniement des armes ou la culture du pavot ?
Les femmes avec les armes sont apparues dans la série « Tendance burka etc » dont on vient de parler, tel un besoin de s’affirmer, de s’exprimer librement. Mais les armes sont en réalité détournées en armes fictives, en jouets en plastique.
Ça veut-il dire que leur combat est dérisoire ?
Non, c’est plutôt comme un symbole de « force » pour elles, de pouvoir faire face à la répression et à poursuivre leurs luttes au quotidien.
monotype sur papier 52 x 72 cm – 2011
à droite : ‘Water Gun »
monotype et huile sur papier 72 x 52 cm 2011
Les cultivateurs de pavots, en 2005, sont issus d’un travail sur la drogue. Il s’agit de champs de pavots en fleurs près de la frontière afghane, interdits et pourtant existants.
Les sérigraphies « Poppy bull » devaient être à taille humaine et collées à l’extérieur près de lieux clés concernant les trafics de drogue. Mais je n’ai pas pu réaliser ce format en sérigraphie.
L’utilisation de la couleur est venue comme une évidence car elle joue comme une illusion, tout comme il existe une illusion dans les produits.
gravure à la pointe sèche 56,8 x 44,3 cm dessin et monotype sur papier BFK Rives
106 x 75,5 cm. 2007
En fait depuis longtemps, tu traites des sujets sensibles qui te tiennent à cœur ? Tu dénonces les violences en tout genre ?
En réalité, lorsque je commence un sujet ou une série, le moteur n’est pas de dénoncer, mais de mener un travail lié à un projet artistique ou à une idée personnelle liée à un vécu.
C’est donc plus un cheminement, des rencontres, des propositions et des choix personnels liés à des questionnements sur l’être humain dans la société et l’envie de développer des projets avec un public ayant peu ou pas accès à l’art qu’une volonté de dénoncer.
Il t’est arrivée de travailler à plusieurs reprises avec un public « Rom » ?
Oui, par exemple, mon premier projet avec les « Roms » a démarré en 2001 avec la réalisation d’un livre intitulé « Shavorés », qui veut dire jeunes filles et jeunes gars !
Les ateliers consistaient à initier des jeunes n’ayant pas ou peu accès à la culture et à l’art. Les jeunes concernés étaient des Roms d’une classe de 5ème, intégrée au sein du Collège Saint Exupéry d’Hellemmes-Lille.
Ces ateliers s’inscrivaient dans le cadre d’un projet d’édition « Boukàlire » projet crée et mené par l’association « Le Monde d’Arthom ».
Le but de cette association Lilloise est de promouvoir la découverte de différentes cultures et modes de vie pour des actions artistiques, notamment par la création de livres.
Mon amie Juliette Wable est à l’origine du thème et voulait qu’on fasse un livre sur les Roms, mais le sujet était trop vaste et trop complexe pour prétendre faire un livre sur eux sans bien les connaître vraiment. Nous avons alors décidé de proposer aux jeunes de s’exprimer à travers le monotype et le portrait. Juliette est malheureusement décédée le jour du démarrage du projet.
monotype sur papier 79,8 x 130 cm. 2009
à droite : « Le garçon au livre »
monotype sur papier. 79,5 cm x 106,5 cm. 2009
© myriam.dib
Le livre a donc réuni des monotypes, créés par les jeunes Roms d’après les photos que j’ai prise d’eux mêmes. Monotypes et textes (en français et en langage Rom traduit phonétiquement par Yoyo, le grand-père des jeunes Roms) ont été choisis en accord avec chaque jeune. Il a été co-édité à 1000 exemplaires, par « Nuit Myrtide » et « Le monde d’Arthom ».
Ce projet a obtenu le prix national Défi Jeunes en 2003. Défi-Jeunes est un dispositif mis en place en 1990 dans le cadre du programme Envie d’Agir, placé sous l’égide du Ministère de la Jeunesse et des Sports.
Deux ans plus tard, tu mènes un nouveau projet avec les « Roms », cette fois avec l’ASET, une association d’Aide à la Scolarisation des Enfants Tziganes ?
Oui, en 2003/2004, l’ASET m’a en effet proposé d’intervenir au sein des camions-écoles de la Communauté Urbaine de Lille pour un projet d’édition « L’abécédaire du camion école ».
Le principe du « Camion-Ecole » est de permettre aux enfants et adolescents tziganes de familles itinérantes de bénéficier d’un apprentissage scolaire. Pour cela, les camions-écoles se rendent sur les différents terrains de stationnement des gens du voyage.
« L’abécédaire du camion école » est un livre qui a été tiré à 600 exemplaires en quadrichromie. Une partie à été distribuée aux enfants, une autre partie était destinée au camion-école. Quant aux 250 exemplaires qui m’étaient destinés, ils sont épuisés.
C’est au cours de ce projet que tu réalises les « Sauve qui peut », « départ précipité » « lever le camp » ?
Non, pas vraiment. Les « Sauve qui peut » sont issus de photos de presse concernant les mouvements de foule dans le monde, d’attaques de motos dans la rue, des fuites de survivants de catastrophes naturelles ou d’attentats.
monotype sur papier 52 x 72 cm – 2011 / © myriam.dib
© myriam.dib
Ils sont à rapprocher des « Traumas » qui proviennent de documents ou photos représentant des individus en file d’attente, comme les Roms ou les migrants.
© myriam.dib
2013 / © myriam.dib
Quelquefois il s’agit de départs dans l’urgence. Les monotypes « Départ précipité » sont plus récents, cependant, c’est un travail en gestation depuis longtemps.
© myriam.dib
« Roms de Lille » est un autre projet mené dans le cadre de Lille 3000 « La Roumanie ». Il est né de rencontres improvisées avec des Roms de Roumanie installés sur le bord du périphérique de la Porte de Valenciennes à Lille. Associée à la slameuse Ange Gabriel.e qui a réalisé une création sonore aux frontières du slam et de la poésie, j’ai créé de mon côté des monotypes qui ont été projetés sur écran.
à droite « On rigole bien avec nos mains »/ 2009 / © myriam.dib
Par la suite, ces monotypes ont été exposés dans les locaux de Sciences-Po à Lille au cours d’un colloque sur les Roms.
Pourquoi avoir traité le thème de « l’Angélus », prière symbolique de l’Eglise Catholique Occidentale ?
« L’Angélus ou la prière du couple » est issu d’une commande d’un ami artiste qui collectionne tout ce qui concerne le tableau de Jean-François Millet.
Au départ, ce sujet ne m’interpellait pas. Ce sont toutes ses recherches et connaissances autour de l’angélus dont il m’a parlé qui m’ont donné envie de répondre et de m’imprégner de cette commande, et j’ai poursuivi ce thème personnellement par la suite. Je n’ai pas pensé à l’aspect religieux et je n’ai jamais eu d’approche de la religion.
Gravure à la pointe sèche sur impression numérique 31 x 21 cm
On peut le constater, les techniques que tu utilises sont nombreuses. Certaines sont courantes, comme le dessin au crayon, stylo feutre ou bic, associées ou non à des pigments de couleurs, mais ton originalité est de combiner ces éléments et d’exploiter toutes les possibilités graphiques ou picturales ?
Je pense que les possibilités graphiques ou picturales sont tellement vastes que je ne pourrais prétendre toutes les exploiter. M’approprier une technique à ma façon et l’associer à un ou d’autres médiums (par exemple huile et monotype) ou peindre à l’huile sur un support non destiné à cette fin, tel un cadre de sérigraphie conçu pour permettre la reproduction à l’infini, devient alors un support unique, qui ne permet plus le multiple.
On voit souvent apparaître le terme « monotype », peux-tu nous expliquer en quoi cela consiste ?
Il y a plusieurs façons de faire du monotype. C’est une technique ancestrale, qui permet un procédé d’impression à tirage unique. De mon côté, après avoir encré ma plaque de plexiglass, je pose ma feuille sur la plaque et je dessine dessus. C’est l’envers qui s’imprime, le côté miroir du « motif » qui apparaît. Ensuite, j’interviens à nouveau dessus jusqu’à satisfaction en y ajoutant de l’huile ou en effaçant certains éléments.
Et la gravure à la pointe sèche ?
Je travaille la gravure de façon expérimentale, souvent sur du rhénalon, facile à couper. Le côté multiple ne m’intéresse pas tellement, je trouve cela vite ennuyeux. Je préfère retravailler, modifier ma plaque après chaque tirage. N’ayant pas de presse, je privilégie le monotype, qui ne nécessite pas de presse.
Quant aux supports, là aussi ils sont nombreux ?
J’aime expérimenter de nouveaux supports. Peindre sur du papier, du plastique, des cadres de sérigraphies, dessiner sur de la toile, bref, j’aime tester de nouvelles choses, sans a priori sur le médium et le support utilisés. Récupérer des supports et m’y adapter convient à ma façon de travailler.
Tes matières premières sont souvent des photos de presse mais aussi tes propres prises de vue ? Tu pratiques souvent le détournement ?
Oui. Depuis quelques temps, je privilégie mes propres photos. Je ne prend que les éléments qui m’intéressent que ce soit un document issu de la presse ou une photo prise de moi même.
Enfin pour terminer, parlons de ton dernier projet à Grande-Synthe ?
Ce projet s’inscrivait dans le cadre de l’exposition « Dessiner l’humain, exprimer l’humanité » à la Galerie Robespierre avec la participation et le soutien du Fonds Régional d’Art Contemporain Picardie-Hauts de France et en lien avec un groupe d’élèves adultes de l’école d’art C. Permeke.
Ce projet invitait les pratiquants de cette école à concevoir leur propre exposition « Crée ton expo de A à Z » à partir d’oeuvres du FRAC, en relation avec une résidence d’artiste.
Le contexte sanitaire impliquant la fermeture des structures culturelles nous a contraint à modifier ce projet artistique ambitieux. La résidence n’a pas pu avoir lieu. Les rencontres ont eu lieu de façon virtuelle via MEET, en visioconférence. Je faisais des captures d’écran et j’échangeais avec le groupe, avec Sophie Vaupré, enseignante de l’école Permeke, l’équipe du FRAC Picardie-Hauts de France. J’ai également contacté chaque participant par téléphone afin d’échanger autour de la thématique qui nous réunissait : dessiner l’humain/exprimer l’humanité.
Trois pièces ont été réalisées en avril-mai 2021 dans le cadre de l’exposition « Dessiner l’humain, exprimer l’humanité » présentée à la Galerie Robespierre en juin 2021 :
« Chacun sa case » : ce sont des monotypes intégrés dans un jeu de Taquin de 18 x18 cm. Chaque monotype mesure 5 x 5cm. L’utilisation du jeu taquin fait écho à la situation sanitaire où seules les rencontres visios étaient possibles. Les portraits sont ceux d’un groupe d’élèves de l’école Permeke de Grande-Synthe.
« Portraits à distance » : C’est une série de 16 monotypes de 16 x 11,6 cm réalisés à partir de captures d’écran via Meet. Ce sont des portraits distanciés des participants et participantes de l’Ecole Permeke répartis sur une panneau de 97,4 x 136 cm
et « Le virtuel en guise de rencontres « , un panneau de 220 x 144 cm composé de 8 monotypes modulables de 52 x 72 cm chacun.
Galerie Robespierre de Grande-Synthe / © myriam.dib
Pegase-21 te souhaite de continuer à faire de nouvelles et belles rencontres et beaucoup de réussite dans tes projets futurs.