n° 15 – Svetlana RUMAK

Svetlana est une artiste russe, née en Ukraine, dont les oeuvres, pleines de poésie témoignent que l’art n’a pas de frontière, qu’il est au dessus des considérations politiques, des enjeux économiques ou des ambitions guerrières.

Pegase-21.com vous invite à aller à la rencontre de cette artiste qui a fait de la Beauté et de l’Harmonie sa philosophie de vie.

Svetlana Rumak / © Natalia Kazakova

Poltava, une ville située dans le centre de l’Ukraine est ta ville natale ?

Oui, je viens d’Ukraine. Toute ma famille y est née. Moi, je suis née dans la ville de Poltava en 1969, à l’époque où l’Ukraine était une République qui faisait partie de l’Union soviétique.

A l’âge de cinq ans, ma famille et moi avons déménagé à Naberejnye Tchelny au Tatarstan, une république qui fait partie des subdivisions de la Russie actuelle.

A trente ans, j’ai déménagé dans la ville de Kazan, la capitale du Tatarstan. Par conséquent, je peux dire que j’ai vécu en Russie depuis mes cinq ans.

Quels souvenirs te reste-t-il de cette période ? Comment était Poltava à l’époque ?

Je me souviens à peine de la ville de Poltava car j’étais trop jeune. Ma grand-mère a déménagé dans un petit village ukrainien et quand j’étais enfant, mes parents m’emmenaient souvent chez elle pour les vacances d’été. Ma grand-mère était enseignante. C’était une personne très intelligente et spirituelle.

J’adorais passer les étés en Ukraine et j’étais très heureuse là-bas. La nature est riche et belle, les gens sont gentils et attentionnés. Ma sœur, mes frères et moi, nous allions dans la forêt, au bord de la rivière, et j’ai sincèrement apprécié cette période de ma vie.

Certains artistes parlent de l’importance de leur enfance, des relations avec leurs parents et même avec leurs grands-parents dans la constitution de leur personnalité. Qu’en penses-tu ?

Bien sûr que oui, je suis absolument d’accord ! Mon grand-père est malheureusement décédé très tôt, c’était une personnalité hors du commun, mais je ne me souviens pas de lui.

Par contre ma grand-mère a eu une grande influence sur moi. Elle m’a non seulement appris le travail, la modestie, l’honnêteté et la décence, mais a également soutenu l’esprit de liberté et de créativité qui étaient en moi.

Parce qu’elle était mon idole dans mon enfance, j’ai voulu être une enseignante comme elle dès mon plus jeune âge. Un peu plus tard, quand j’ai commencé à dessiner de plus en plus et que mes parents ont réalisé que je voulais être artiste, ils m’ont envoyé dans une école d’art et je voulais être professeur de dessin, bien sûr, à cause de mon amour pour ma grand-mère, je voulais être comme elle en tout.

Qui étaient tes parents ? Qu’est ce qu’ils t’ont apporté ? Y avait-il des artistes dans ta famille ?

Mes parents étaient des employés, mais tous les deux avaient reçu une formation technique supérieure. Il n’y a jamais eu d’artistes dans notre famille.

Au début, mes parents ont soutenu mon désir de faire de l’art, mais ils ne pensaient pas que c’était sérieux pour moi. J’ai eu beaucoup de chance que ma famille ait été éduquée et que tout le monde aimait lire.

L’importance des livres dans la vie de Svetlana
© archives Svetlana Rumak

Il y avait beaucoup de livres dans la maison et je pense que nous avions l’une des plus grandes bibliothèques familiales de notre ville, car tous mes amis qui venaient me rendre visite étaient tout simplement stupéfaits devant tant de livres !

Nous lisions constamment, tous les jours, beaucoup. C’était habituellement le soir. Papa, Maman, ma sœur et moi, nous asseyions et lisions en silence. Parmi les livres, mes parents avaient acheté beaucoup de livres d’art. Nous avions des albums énormes et très chers sur les collections des meilleurs musées d’art du monde et une riche collection de livres pour enfants avec les meilleurs illustrateurs soviétiques.

Les livres étaient mon « univers », je n’aimais pas trop jouer avec les autres enfants. Et même si j’avais des amis, le temps passé à lire et à regarder les illustrations était beaucoup plus précieux pour moi.

Quand et pourquoi t’es-tu intéressée à l’art et à la peinture en particulier ? Quand as-tu eu envie de faire des études d’art ?

J’ai tellement été impressionnée par les livres d’art et surtout par les livres pour enfants avec de riches et belles illustrations, que j’ai décidé, dès l’enfance, de commencer à dessiner.

Au début, je ne pensais même pas que j’avais besoin d’étudier l’art. Mais une fille dans ma classe qui fréquentait une école d’art, m’a conseillé d’y entrer. Mes parents ont soutenu cette idée et m’ont emmenée passer les examens pour entrer dans cette école d’art.

… Et je n’ai pas réussi ces examens ! J’ai donc étudié avec un professeur d’art pendant près d’un an, qui m’a appris les bases des règles académiques pour être capable de passer ces examens l’année suivante.

Où as-tu été scolarisée ? Quelles écoles et universités as-tu fréquentées ?

A douze ans, je suis entrée à l’Ecole d’Art de Naberezhnye Chelny, qui était aussi notre ville de résidence.

La première année, j’étais l’une des élèves les plus faibles de la classe, mais le plus important pour moi est qu, durant ces années, je suis devenue plus forte dans l’idée que je voulais continuer à faire et à étudier l’art.

Donc après l’école, à dix-sept ans, j’ai intégré le Département d’art de l’Institut Pédagogique, également situé à Naberezhnye Chelny qui est l’un des plus grands instituts pédagogiques de cette partie de la Russie.

Je suis rapidement devenue l’une des meilleures étudiantes de mon groupe. Mes professeurs m’adoraient et soutenaient mon enthousiasme de toutes les manières possibles. Je suis très reconnaissante à ces professeurs qui, à cette époque, non seulement m’ont enseigné les règles de l’art académique et m’ont donné de solides connaissances, mais ont également éveillé la créativité qui était en moi.

Quand j’ai eu trente ans, j’ai déménagé à Kazan, la capitale du Tatarstan, pour suivre les cours dans les « Ateliers Créatifs de Peinture » à l’Académie des Arts de Russie de Kazan, et aussi parce que j’ai commencé à collaborer avec plusieurs galeries d’art dans cette ville et la raison en était qu’il y avait plus de galeries là-bas et que la vie artistique était plus active.

Svetlana dans son atelier devant un des tableaux de sa série « Dark Side Of The Moon » (La Face Sombre De La Lune)
© archives Svetlana Rumak

Après Kazan, j’ai déménagé à Orekhovo-Zuevo. C’est une ville à environ 100 km de Moscou juste parce qu’il était plus facile de participer à la vie artistique à Moscou. Ensuite, dès que cela a été possible, j’ai commencé à vivre à Moscou pour la même raison.

En parallèle avec le parcours scolaire, il existe l’apprentissage qui passe par une manière de voir. L’observation est essentielle et un bon professeur peut « ouvrir les yeux » de ses élèves ? Qu’en penses-tu ?

Je suis tout à fait d’accord pour dire que le «bon professeur» est très important pour la formation d’un artiste novice, surtout quand il est encore jeune.

Comme je l’ai dit, j’ai eu beaucoup de chance. A l’Institut, plusieurs professeurs m’ont personnellement soutenue, m’ont donné des conseils, expliqué les nuances les plus subtiles de la créativité et même montré des techniques inhabituelles. Par exemple, à cette époque, j’ai suivi un petit cours de gravure où j’ai étudié cette technique étonnante et complexe, puis j’en ai créé pendant plusieurs années.

Je peux vraiment dire que mes professeurs « m’ont ouvert les yeux » – ils m’ont appris à étudier l’art, à le comprendre, et en même temps m’ont appris à être ouvert à un art différent, ce qui à l’époque était assez inhabituel quand on parle d’éducation artistique en Russie. En règle générale, les enseignants en Russie à cette époque étaient très conservateurs et seul le « réalisme » était considéré comme du « véritable art » !

Svetlana devant sa peinture « Without Gravity »
(Sans Gravitation) © archives Svetlana Rumak

Mais pour nous, les étudiants de mon groupe, les enseignants donnaient un maximum de liberté et un maximum d’informations sur les différentes directions artistiques. Cela est devenu possible parce qu’au cours de cette période, la « Perestroïka » a commencé dans mon pays – une période de liberté accrue et l’ouverture du « rideau de fer ».

Ces années incroyables pour mon pays ont coïncidé avec ma jeunesse et mes années étudiantes et cela me rendait très heureuse !

Te souviens-tu de tes premiers travaux ? De ta première exposition ?

Tout en poursuivant mes études à l’institut et avec les encouragements de mes professeurs, j’ai beaucoup peins, plus que tous les autres élèves. J’ai même commencé à créer mes premières peintures.

Mais ma première exposition personnelle a eu lieu à Kazan en 1999. Elle comprenait trente œuvres sur papier, des aquarelles et des gravures.

Elle a eu un grand succès. La plupart de mes œuvres ont été vendues, la communauté artistique de Kazan a accepté mon travail avec beaucoup d’enthousiasme, de nombreuses galeries ont été ravies de coopérer avec moi. L’exposition a été bien accueillie par la presse et largement couverte par les journaux locaux.

Quels étaient tes thèmes favoris ? Quels étaient les peintres qui t’ont influencée  ?

Vers l’âge de 18-19 ans, j’ai créé mes premières œuvres pendant mes années d’études, sous l’influence de l’art russe du début du XXe siècle : Aristarkh Lentoulov, qui avait été au contact des cubistes à Paris, Pavel Nikolaïevitch Filonov, fondateur de l’art analytique, Kasimir Malevich, le créateur du Suprématisme, et d’autres artistes qui ont travaillé avant le début du stalinisme.

« Fille Avec Une Robe Suprématiste »
huile sur toile 70 x 60 cm
© Svetlana Rumak

Le fait est qu’à l’époque soviétique, même l’art russe était inaccessible pour l’étude en Russie, car ces artistes n’étaient pas des « réalistes », ne soutenaient pas le « réalisme soviétique » et étaient « oubliés » ou même éliminés.

La Perestroïka nous a redécouvert ces grands noms et nous, jeunes artistes, avons étudié leur travail avec avidité. Malheureusement, même à cette époque, il y avait très peu d’informations sur les artistes contemporains d’autres pays, et je n’avais pas la possibilité financière de voyager.

Tu fais partie de plusieurs organisations, associations, fédérations et autres syndicats d’artistes de Russie. Est-ce une manière d’obtenir une reconnaissance de ton talent et de ta place d’artiste dans la société russe ?

Pas vraiment ! Ce n’est pas très difficile de devenir membre de ces syndicats en Russie. Mais je suis contente qu’ils existent et apportent une sorte de soutien aux artistes, lorsque par exemple, ils organisent des expositions, ou aident à obtenir des ateliers.

Foire d’Art Contemporain à Moscou
© Vasily Bobrov

Parlons de tes sujets d’inspiration. Tu fais souvent référence à différentes époques historiques de la Russie ? Il y a des interprétations de l’art médiéval ? Tu utilises également beaucoup de symboles ?

Il n’y a aucun doute sur cette question, je suis une symboliste ! En tant qu’artiste et aussi en tant que personne.Je pense comme un symboliste, je me sens comme un symboliste, je vois comme un symboliste ! Je peux dire que je perçois TOUT l’art comme symbolisme ! J’espère que je n’offenserai pas d’autres artistes avec cela.

En même temps, bien sûr, je suis inspirée par différentes époques et tendances de l’art. J’aime l’art abstrait et les Icônes russes, l’art de l’Europe médiévale et l’art populaire de différents pays.

« L’Affaire De La Chasse »
Acrylique sur toile 42 x 50 cm
© Svetlana Rumak

Certaines « citations » dans mes peintures sont à peine perceptibles, d’autres sont immédiatement perceptibles. Pour moi, c’est un plaisir particulier, c’est un « jeu » avec le spectateur, qui devine ou non la signification de mes symboles, comprend d’où vient ou non ma « citation », pense et ressent ce que je pense et ressens ou pas…

C’est un excellent moyen de se faire des amis, je peux dire ! Ce sont justement les personnes les plus proches de moi par l’esprit qui sont « aimantées » par mes peintures !

Les Icônes russes ont une place particulière dans ton inspiration ?

Bien sûr, l’art de la peinture d’icônes, à la fois russe et étrangère, est un «amour spécial» pour moi. J’apprécie simultanément la beauté de l’art et ressens une forte spiritualité dans ces peintures, parfois jusqu’aux larmes …

Pour moi, la force et la profondeur d’un symbole représentées par un artiste peuvent impressionner le spectateur.

Certaines peintures rappellent les personnages de la Commedia dell’Arte italienne ?

Les Pierrots et les Arlequins sont pour moi le symbole du théâtre, le jeu d’acteurs et des comédiens errants sont le symbole d’une âme humaine subtile et sensible voyageant entre les incarnations. En fait, je peux parler pendant des heures de mes personnages et de mes symboles.

« Comédiens Itinérants » – acrylique 40 x 50 cm
© Svetlana Rumak

Comment as-tu assimilé ces influences pour développer ton propre langage plastique ? Parle-nous de ta technique…

Le travail pour moi, en tant qu’artiste, de créer mon propre « langage » est similaire à un « puzzle », lorsque chaque fragment est combiné avec un autre et que quelque chose de nouveau est créé, à la fois unique mais que nous avons la possibilité de reconnaître et avec lequel nous pouvons se sentir proche.

L’important est aussi de créer ma propre technique de peinture. Je suis convaincue qu’une technique inhabituelle est un « aimant » puissant dans une œuvre d’art et attire l’attention des collectionneurs et autres experts, galeries d’art, conservateurs et autres.

Depuis 2006, j’ai commencé à travailler avec l’acrylique et en même temps j’ai développé plus d’une douzaine de techniques originales que j’utilise dans mes peintures. J’expérimente aussi le mélange de l’acrylique avec les techniques mixtes, ainsi que la combinaison de l’art figuratif et abstrait.

Svetlana pendant un Symposium d’Art International au Qatar  avec son diptyque « J’ai Trouvé Mon Cœur Dans Le Désert Et Je l’Ai Perdu Dans La Mer » et
« J’ai Trouvé Mon Cœur Dans La Mer Et Je l’Ai Perdu Dans Le Désert « . 2013
© archives Svetlana Rumak

Pour partager mon expérience, j’ai créé plusieurs tutoriels et organisé des master-class dans différentes villes comme Minsk, Moscou, Saint-Pétersbourg, Kazan, Chypre etc…

Svetlana après un master class
à l’Ecole d’Art « Bratec Lis » de Moscou
© archives Svetlana Rumak

Ouverte sur le monde, tu voyages beaucoup et tu vas à la rencontre d’autres artistes. Pour cela tu participes à de nombreux symposiums et tu en organises également en Russie ? Que t’apporte ces échanges ?

En effet, j’essaie de voyager beaucoup à travers le monde, de participer activement à des projets internationaux, des symposiums d’art, des expositions dans différents pays.

Svetlana lors d’une visite à Prague
pour une série d’ateliers en 2019
© archives Svetlana Rumak.

Cela me donne l’opportunité de rencontrer personnellement des artistes de différents pays et de partager des expériences sur les tendances des beaux-arts et du commerce de l’art, de construire des ponts entre les artistes et de découvrir de nouvelles manières de développer l’art en Russie.

Il a toujours été important pour moi que les artistes de différents pays se comprennent et se soutiennent. Nous, artistes, parlons le même langage, le langage de l’art et nous avons les mêmes valeurs : développement, spiritualité, culture, amitié et soutien.

J’espère vraiment que cela continuera à l’avenir et nous, artistes, faisons une chose très importante – nous unissons les peuples de différents pays et rendons ce monde un peu meilleur.

Svetlana avec le Ministre de la Culture du Qatar
Doha 2013 / © Alik Assatrian

Tu as fondé ta propre école ? Quels en sont les grands principes ?

Il y a plus de quatre ans, j’ai ouvert mon école d’art en ligne, qui compte maintenant environ trois mille étudiants russophones de cinquante pays à travers le monde.

Mon école propose des cours sur mes techniques de peinture originales et plusieurs cours qui aident les artistes du monde entier à trouver leur propre style, à comprendre les tendances artistiques actuelles du secteur de l’art, à se présenter dans l’espace artistique international, à collaborer avec des galeries et à vendre des peintures. par soi-même.

Les ateliers de Svetlana à Prague
© archives Svetlana Rumak

Nous, moi-même et l’équipe de l’école, étudions toutes les informations pertinentes dans le domaine de l’art à travers le monde et essayons de donner à nos étudiants les connaissances et les compétences les plus importantes.

Mais la chose la plus importante que notre école apporte est le soutien, l’inspiration et le désir de développer l’art pour chaque artiste dans le monde, quel que soit son lieu de vie, son âge et son éducation. Je crois que la créativité est une force puissante qui aide chaque artiste à réaliser ses projets et ses rêves les plus fous.

Comment gères-tu les difficultés du contexte actuel ?As-tu quelques projets en préparation ?

C’est maintenant une période très difficile pour tous les artistes en Ukraine, en Russie et en Biélorussie.

Les artistes d’Ukraine souffrent dans ce pays au peuple fort et courageux. Mais les artistes de Russie et de Biélorussie ont aussi du mal avec la situation. Il est si difficile maintenant d’être créatif et de penser à l’art. Mon âme et les âmes de mes amis artistes russes pleurent et souffrent.

Mon école essaie de soutenir les artistes, même si nous ne pouvons pas faire grand-chose dans cette situation, mais nous essayons de faire du mieux que nous pouvons. J’essaie de penser à l’avenir de mon école, de soutenir mon équipe (ce sont huit personnes qui vivent aussi en Russie), de soutenir mes amis, ma famille, mes artistes.

Que va-t-il se passer dans l’avenir ?
© archives Svetlana Rumak

Cet objectif me donne de la force et je sais que je dois rester forte quoi qu’il arrive car tant de personnes ont besoin d’aide en ce moment. Je suis également très reconnaissant à toutes les personnes dans le monde qui aident l’Ukraine et ne se détournent pas non plus des artistes russes dans cette situation terrible et difficile. Tout ce dont les peuples du monde ont besoin en ce moment, c’est de la paix et de la fin des horreurs de la guerre.

Pegase-21 te souhaite beaucoup de courage et de réussite pour l’avenir avec l’espoir d’un retour rapide à la paix.

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