Vered GERSZTENKORN est une artiste israélienne. Sa technique, proche du dessin d’enfant, lui permet de faire en sorte que ses toiles soient le reflet de sa vision du monde, pleines de spontanéité, d’ironie, de drôlerie, avec quelquefois un regard critique .
Ce mode d’expression est avant tout un choix artistique et un refus des conventions.
Tu vis et tu travailles à Tel-Aviv ? Es-tu originaire de cette ville ? Et pourquoi avoir choisis cette ville ?
J’ai vécu à Tel-Aviv entre 1987 et 1999, mais maintenant je vis et je travaille à Beit-Elazari, le village où j’ai grandi, mais je ne suis qu’à seulement une demi-heure de Tel-Aviv.
Oui, la scène artistique de Tel-Aviv est très vivante. De nombreuses galeries, foires d’art, street art et beaucoup d’artistes qui cherchent à se faire connaître.
Tel-Aviv est une grande ville mais elle est devenue très vaste et inabordable pour moi. Finalement j’ai besoin de la proximité de la nature et de la tranquillité d’esprit que je peux avoir, là où je suis maintenant.
Quand as-tu commencé à t’intéresser à la peinture ?
Depuis le plus jeune âge, je me suis toujours noyée dans les couleurs. Fondamentalement j’ai toujours peint, mais à la fin de mes 20 ans, j’ai donné à la peinture beaucoup plus d’importance et de concentration, et c’est rapidement devenu toute ma vie.
Tes parents t’ont-ils encouragée ? Comment s’est déroulée ton enfance, as-t-elle été baignée par l’art ?
Mes parents étaient agriculteurs et j’ai grandi dans un petit village, entouré de propriétés où il y avaient toutes sortes d’animaux et beaucoup de choses dont il faut s’occuper presque tout le temps. Je pense qu’il n’y avait guère de place pour la « culture des loisirs ».
Mais je dois dire qu’ils n’ont jamais été sur mon chemin, peu importe ce vers quoi je me tournais. Ils savaient que j’avais du talent mais ne savaient pas exactement comment l’aborder, jusqu’à ce que je sois remarquée par notre voisin qui m’a acheté du matériel d’art, y compris des magazines d’art qui montraient comment dessiner.
J’ai adoré et je me souviens que je dessinais et reproduisais toutes les images. Plus tard dans mon adolescence, mes parents m’ont envoyé chez un professeur d’art qui donnait des cours collectifs et j’ai commencé à apprendre à utiliser les couleurs à l’huile, à peindre des natures mortes et plus encore.
À la maison, je peignais chaque fois que j’avais le temps. J’avais l’habitude d’aller dans les librairies à la recherche de livres d’art et piocher ceux qui me plaisaient, parmi eux Modigliani et Toulouse Lautrec… En fait, j’ai aussi copié certaines de leurs œuvres, ce qui était pour moi un moyen d’apprendre et de pratiquer.
As-tu suivi un enseignement artistique ? Une école d’art ?
À 21 ans, j’ai postulé à l’Académie d’art Bezalel à Jérusalem et j’ai été refusée.
En regardant en arrière, je me rends compte que mentalement je n’étais pas prête, mais cela ne m’a pas empêché de continuer à peindre et de trouver ma propre voie. Je suis fondamentalement autodidacte.
Quels artistes t’ont influencée ?
Ma plus grande influence dans l’abstrait est la peintre israélienne Lea Nikel (1918-2005) que j’ai également eu l’honneur de côtoyer.
J’aime les artistes qui partagent une liberté d’expression enfantine et rebelle, comme Jean Dubuffet, Jean Michel Basquiat, le groupe COBRA, l’Art Brut, l’Art Singulier et beaucoup d’autres…
Qui est Léa Nikel ? Comment l’as-tu connue ?
Lea Nikel est une femme artiste. Quand je vivais à Tel-Aviv, j’ai vu une très grande peinture abstraite magnifique dans le hall d’un hôtel, près de la plage. Ça m’a frappée et bien sûr j’ai voulu savoir qui était cet artiste.
Lea Nikel est considérée en Israël comme la première dame de l’abstrait et pendant de nombreuses années, mon travail a été influencé par le sien. Ce que j’ai réalisé plus tard, c’est qu’elle vivait dans un village à côté du mien !
Je l’ai contactée et après une ou deux conversations au téléphone je suis venue lui rendre visite un jour par surprise.
Elle m’a invité à monter dans son atelier et nous avons parlé pendant environ une heure. Je n’oublierai jamais cette rencontre inspirante.
En 2003, j’ai eu une exposition personnelle dans un espace non loin de chez elle et je l’ai invitée. Elle est venue, a vu mon travail pour la première fois et m’a vraiment encouragée. C’était ma première exposition.
Et Jean Dubuffet, comment as-tu connu son œuvre ? Était-il connu en Israël ?
Eh bien, il est connu dans le monde entier et en Israël aussi bien sûr.
Je ne me souviens pas vraiment quand j’ai découvert son travail pour la première fois, je pense que c’était vers 2002 à Paris lorsque j’ai travaillé avec une galerie parisienne.
En ce qui concerne ta technique, quel médium utilises-tu ?
J’utilise habituellement des couleurs acryliques, elles correspondent à la façon dont j’aime travailler : superposer plusieurs couches avec des mouvements rapides. J’aime peindre sur toile, des panneaux de bois et ou encore sur papier.
J’adore aussi les collages, je prends toujours du plaisir à les faire !
Quels sont tes sources d’inspiration ?
Tout ce sur quoi je peux poser les yeux. La vie de tous les jours, les œuvres d’artistes que j’aime, parfois la nature, mais au cours de la réalisation peut apparaître l’image de quelque chose que je n’avais pas prévu.
C’est souvent une question d’association entre les éléments.
A propos de ton art, peux-t-on parler d’art brut ou d’art singulier ?
J’ai découvert l’Art Brut et l’Art Singulier en même temps que j’ai découvert Dubuffet.
Ces artistes incontournables mais souvent complexes ont captivé mon imagination et je pouvais facilement m’identifier à eux comme étant moi aussi une sorte de marginale.
Certaines personnes ont juste ce don précieux et sont si authentiques qu’elles vous encouragent à être vous-même jusqu’au bout.
Dans tes œuvres, que cherches-tu à exprimer ?
Eh bien, je pense que toujours j’exprime avant tout des sentiments. J’aime regarder un tableau et voir toute la complexité de la vie exprimée en formes, en tons et en couches superposées.
Tu as une approche humoristique de l’art qui se rapproche aussi de l’art enfantin, pourquoi ?
Une condition humaine est souvent drôle ou idiote ou ridicule. Il y a suffisamment d’artistes qui expriment la douleur et le chagrin, je peins naturellement le contraire. C’est peut-être pour équilibrer, mais je ne peux pas ignorer que ça fait partie de moi.
Sur tes photos, tu es toujours souriante, tu respires une sorte de joie de vivre, est-ce une expression qui reflète ta vision de la vie ? Une philosophie de la vie ?
On me dit souvent que mes peintures ont des aspects humoristiques. Eh bien, c’est juste le résultat de quelque chose de refoulé, je crois. Je pense que cela vient de mon éducation où il n’y avait pas beaucoup de place pour l’humour ou le rire j’en ai peur, mais cela ne veut pas dire que je n’avais pas de joie intérieure, c’était juste qu’elle n’était pas exprimée.
Enfant, je vivais dans mon propre monde imaginaire (et cela est encore vrai aujourd’hui et depuis toujours) et cela se reflète dans mon travail.
D’une certaine manière, mes peintures me « disent » quelque chose sur moi-même dont je ne suis pas consciente. C’est avant tout une question de temps avant que je puisse me raconter et m’identifier à ce que j’exprime sur la toile.
As-tu beaucoup voyagé et rencontré d’autres artistes ? Qu’est-ce que cela t’a apporté ?
Mon premier voyage significatif a eu lieu en 1990 à Tahiti en Polynésie française. J’ai été tellement impressionné par l’environnement coloré et la douceur des habitants que mes peintures ressemblaient à une fiesta colorée.
En 2014, j’ai collaboré avec GAP (Global Art Project) qui est un groupe d’artistes qui ont partagé des résidences en Italie, au Mexique et aux États-Unis, travaillant ensemble, organisant des ateliers et des expositions.
Dans quelles circonstances t’es-tu retrouvée en Polynésie ?
J’ai été mariée à un français qui y vivait depuis huit ans quand on s’est rencontré. Il m’a raconté tant d’histoires merveilleuses sur Tahiti et plus précisément l’île de Moorea que je devais simplement y aller. J’avais 26 ans.
As-tu rencontré des artistes locaux ? Y a-t-il eu des échanges avec eux ? Qu’est-ce que cela t’a apporté ?
Je n’ai assisté qu’à deux résidences, à Venise et Lecce dans le sud de l’Italie. Nous avons rencontré des artistes locaux et des artistes venus de l’étranger spécialement pour travailler avec nous, ce qui était quelque chose d’incroyable.
Nous avons créé ensemble tout le temps, fait des travaux collaboratifs, partagé des idées et appris ensemble de nouvelles techniques. Nous avons également vécu dans le même grand appartement et avons découvert les villes ensemble. C’était amusant.
Ces expériences ont été uniques et inspirantes pour moi, en tant qu’artiste qui travaille toujours dans la solitude.
Quels sont tes projets dans un avenir immédiat et un avenir plus lointain ?
Mes plans ne sont jamais à long terme pour être honnête. Je suis heureuse et reconnaissante de pouvoir créer tous les jours et toujours dans l’espoir d’une nouvelle exposition.
Dernièrement, on m’a proposé d’avoir une exposition personnelle au Yucatan au Mexique et pour moi c’est excitant, j’ai hâte d’y être.
Pegase-21 te félicite et te souhaite beaucoup de réussite dans ce projet, mais aussi beaucoup de plaisir et d’émotions dans ton travail artistique.