n° 17 – Mihai PÎRVAN

Pour ce n° 17, le cheval ailé prend la direction de Nantes pour découvrir Mihai Pîrvan, un pur produit de la musique tzigane.

Mihai nous raconte ses origines roumaines, son arrivée en France et la création du groupe familial ROM-SUCAR.

Mihai Pîrvan / © Célia Rubio

Tu es originaire de Clejani, un village roumain ?

Clejani est un petit village tzigane situé effectivement en Roumanie, au sud de Bucarest. Le village est connu pour ses nombreux musiciens qui jouent pour les événements familiaux, mariages, baptêmes, enterrements … et animent les fêtes de leur communauté.

Ce sont ce qu’on appelle les « Lautari » ?

Oui, les « Lautari » sont des groupes de musiciens qui comprennent surtout des membres d’une même famille et qui jouent de la musique traditionnelle.

Le mot vient de « lauta » qui est un luth roumain. Le lautar est un musicien, une sorte de troubadour, de ménestrel qui se ballade avec son instrument pour chanter la vie des gens, du peuple.

Les tziganes fonctionnent par castes et ma famille vient de la caste des musiciens depuis plusieurs générations.

Ton grand-père a joué avec le Taraf de Haidouks, le plus célèbre groupe tzigane du village et l’un des plus connus de Roumanie et d’Europe ?

Oui, il a été accordéoniste, mais il a aussi fait partie d’autres tarafs. En fait, en Roumanie, « Taraf » est un terme traditionnel pour désigner les Lautari constitués par des familles de musiciens. Un taraf n’est pas dissociable de la famille et il peut aussi avoir la présence de femmes dans le groupe.

Taraful Haiduciloir (en français Taraf de Haidouks) / © 2014 Lautarie

Peu après la chute de Ceaucescu, est né pour nous l’espoir de connaître l’Europe de l’Ouest. En 1990, deux passionnés belges de musique tzigane, attirés par l’aspect joyeux et enivrant de notre musique sont arrivés à Clejani avec l’intention de constituer un taraf pour jouer sur les scènes européennes.

Ils ont baptisé le groupe « Taraf de Haidouks » qui veut dire groupe de brigands ou bandits mais des bandits « honorables », des sortes de bandits-justiciers et sont devenus leurs managers.

Ce sont eux qui ont organisé des tournées en Europe de l’ouest ? Ton grand-père est parti avec le groupe ?

Oui, il a suivi le groupe et notamment en Belgique et en France où il a établi des connexions.

Beaucoup de monde, en particulier dans le sport ou la musique, cherchait à sortir de la Roumanie pendant la période du communisme et même après, il y avait des problèmes de visas. Quand il y avait des opportunités, il ne fallait pas les rater.

Quand le groupe est-il venu en France pour la première fois ?

Ils sont venus au début des années 1990. Mon grand-père est resté et s’est installé au sud de la Vendée. Il n’est pas beaucoup revenu au pays pendant ces années mais, dix ans plus tard, en 2002, il a fait venir mes parents et c’est donc grâce à lui que nous sommes arrivés en France.

Les parents de Mihai : Camelia Pirvan et Mugurel Barbu
au Théâtre du Cyclope / © Célia Rubio

A l’époque, nous étions trois enfants et comme cela se passe souvent en Roumanie, ma sœur et moi sommes restés avec nos grands-parents, tandis que la cadette a accompagné mes parents.

A quel âge as-tu rejoins tes parents ? Comment les as-tu rejoins ?

Ce sont mes parents qui sont venus nous rechercher en Roumanie. J’avais onze ans.

Tu avais donc grandi et passé ton enfance à Clejani ?

Non j’ai grandi à Bucarest dans la famille de mes grands-parents maternels.

Quand tu rejoins ton père, pour lui tu es déjà trop vieux pour faire de la musique ! Lui, il était né dedans ? Expliques nous comment tu as réagi.

En gros, j’avais honte, donc j’ai voulu apprendre la musique à l’école. Mais nous sommes partis en vacances en famille et nous sommes revenus une semaine après la rentrée. J’ai donc manqué une semaine et pendant ce temps, les élèves du cours de musique avaient appris un air. Ils avaient la partition et moi, je ne l’avais pas.

Quand je suis arrivé le jour de l’examen, je n’avais jamais entendu le morceau. Ma professeure a eu l’idée de me faire passer en dernier, si bien que je l’ai appris en entendant les autres jouer le morceau à la flûte. Je l’ai joué du premier coup et j’ai eu 20/20.

Ma prof de musique, Madame Riffault (je ne suis pas sûr de l’orthographe) a trouvé que j’étais doué et en a parlé en salle des professeurs. Elle m’a dit d’aller la voir à la fin d’un cours et m’a donné un CD de musique tzigane mais jouée par des français. Nous l’avons écouté à la maison et ça nous a fait bien rire.

Un jour, ma prof d’Arts Plastiques qui avait entendu parler de mes « talents » de flûtiste, est venue à la maison avec une clarinette en plastique. Mon père a pris son accordéon et pour la première fois, nous avons joué ensemble. Elle a été impressionnée et m’a dit : « Puisque tu te débrouilles bien, je te la donne. En échange, tu me donneras des cours » Et en fait, elle n’est jamais revenue.

Le père de Mihai : Mugurel Barbu / © Célia Rubio

Avec sa clarinette, j’ai commencé à jouer dans la cour de l’école des morceaux que j’entendais à la radio.

Et tu as finalement choisi le saxophone, pourquoi ?

Quand j’ai voulu m’inscrire à l’école de musique de Fontenay-Le-Comte, il n’y avait plus de place en clarinette et j’ai donc choisi le saxophone.

Mihai au saxophone / © Manouch’ Muzik Festival 2021 – Mazères (Gironde)

J’ai joué sur le saxo soprano de mon professeur. Stéphane Mangin. Il m’a prêté son saxo trente minutes par semaine jusqu’à ce que mon père m’en achète un. Je n’ai plus jamais repris la clarinette. Un ami saxophoniste de mon père m’a donné quelques tuyaux, j’ai fait une année d’école et j’ai continuer à apprendre tout seul.

Ton père lui, était issu d’une famille de musiciens ?

Non, il était maçon. Mais depuis tout petit, il voulait un accordéon. Il ne voulait pas de ballon, ni de vélo… juste un accordéon ! Un noël, son père lui a finalement acheté un accordéon sauf que cet accordéon était beaucoup trop grand et mon père trop petit !

A six-sept ans, il a pris des cours mais il s’endormait quelquefois sur l’instrument. Ensuite, il a pris des cours avec un accordéoniste assez connu à Bucarest, qui avait donné des cours à toute une génération.

Ta mère par contre avait des ascendants musiciens ?

Oui, d’aussi loin qu’on puisse remonter, ma mère descend d’une lignée de musiciens. Il y a toujours eu un groupe ou plutôt une famille, et ils jouaient ensemble. Ils animaient depuis toujours des mariages, des baptêmes etc…

Le nom du groupe ROM-SUCAR a-t-il une signification particulière ?

Rom, c’est l’être humain, le tzigane. Sucar veut dire beau, joli, bon également…

Le groupe Rom-Sucar / © Ar Deck

Comment as-tu rencontré les autres musiciens ?

Olivier (Lecointre), le contrebassiste, on l’a rencontré suite à une annonce que j’avais postée sur un site de musique et à laquelle il a répondu. On l’a invité à la maison et depuis c’est le grand amour, c’est devenu la famille.

On connaissait Dimitri (Halasz) parce qu’il avait accompagné un violoniste de rue que mon grand-père avait fait venir en France. C’était un vieux cousin à mon grand-père.

Florian Golea, le violoniste, on le connaît depuis toujours ; il jouait dans un restaurant russe (en réalité roumain) de Nantes.

Et puis la tradition familiale perdure avec Mona Lisa ?

Oui, Mona Lisa est ma sœur. Elle chante et accompagne Maman quelque fois.

Mona Lisa / © Bastien Brillard

Avez-vous rencontré des difficultés pour vous faire connaître et faire des concerts ?

Non, les gens adorent parce que d’abord nous sommes super-sincères. On a établi une liste de chansons mais en fait, on ne la suit même pas, on improvise tout. On fait tout au feeling en fonction des gens, du public.

On ne considère pas un spectacle comme un produit destiné à être vendu. On est capable de la modifier à tout moment pour s’adapter, et on s’engueule aussi, on se fait des blagues, on boit des coups… On fait ce qu’on sait faire et on se fait plaisir !

Rom Sucar sur scène / © Ouest-France 2021

Vous avez aussi des compositions personnelles, qui compose ? Comment cela se passe entre vous ?

Oui, on a plein de compositions originales. On compose avec notre style propre. Il m’arrive d’écrire des trucs mais ma mère écrit aussi des textes et mon père fait la musique et arrange les harmonies. En fait on compose ensemble.

Il y aussi des choses qui naissent au fil des répétitions, et puis des choses qui arrivent dans les concerts. Des phrases musicales qui prennent forme au cours de nos improvisations, qu’on garde et qu’on rejoue ensuite.

Vous avez repris « Djelem Djelem », l’hymne traditionnel gitan dans une version personnelle ?

Oui c’était une évidence, on ne s’est même pas posé la question. L’originalité vient qu’on a fait un enchaînement rythmique avec le « Kalinka » des Choeurs de l’Armée Rouge, ça en a surpris plus d’un !

Rom Sucar – Festival Graine d’Automne de Treffieux (Loire Atlantique) en 2016 / ℗ Jean-François Mousseau

C’est important pour toi de conserver l’aspect traditionnel des chansons ?

Pas spécialement mais pour moi, la musique avant d’être quelque chose qui s’écoute est une thérapie, qui, à un moment donné vient se coller à nos vies.

La musique te permet aussi de défendre un certain nombre de valeurs ?

La musique est un média, un prétexte pour défendre des choses, dénoncer aussi et pour nous, il est important d’affirmer qui on est. C’est déjà un positionnement.

Tu as rencontré plusieurs artistes, quels sont-ils et qu’est que ces rencontres t’ont apporté ?

J’ai rencontré beaucoup d’artistes et j’ai joué avec beaucoup d’entre eux : Boris Viande, Haidouti Okestra, Bachar mar Khakifé, son père Marcel Khalife, un grand musicien et bien sûr Ibrahim Maalouf.

Mihai et Ibrahim Maalouf en compagnie de nombreux autres musiciens
à La Cigale / © Bint Echalabiya La Cigale Paris 27/09/2021

Ça m ‘a permis de m’ouvrir à d’autres horizons, à d’autres univers musicaux. Ça m’a permis de mieux comprendre comment ceux qui jouent la musique de chez nous l’entendent, comment ils la perçoivent, comment ils la restituent, quelle approche ils en ont et en même temps, ça m’a permis d’avoir du recul sur ma propre musique.

Ça me confronte à des expériences, des façons de voir les choses, des comportements des musiciens qui sont différents des comportements et de la vie des musiciens tziganes. Ça me permet de voir comment ça fonctionne aussi sur le plan administratif, ou avec des associations. Chacun a ses codes et ça m’amène une compréhension du monde dans lequel j’évolue.

J’ai joué également avec des artistes roumains, en particulier avec Carmen Piculeata, considéré comme l’un des meilleurs violonistes et compositeurs tziganes, qui a joué avec le Cirque du Soleil avec qui j’ai appris des mélodies et des thèmes de nouveau style.

Mihai Pîrvan et Carmen Piculeata / © Studio KRT Montréal 2022

Quels sont tes projets immédiats ?

Il y a l’enregistrement d’un nouveau CD, qui sera je l’espère moins « fait maison », avec des morceaux en live. Très bientôt pour le groupe, un concert avec Titi Robin et je l’espère plein d’autres belles choses.

Merci Mihai pour ta patience, ta gentillesse. Pegase-21.com te souhaite de faire de nouvelles rencontres et beaucoup de succès, individuellement et en famille.

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