Chalys LEYE est un artiste plasticien, qui vit et travaille à Dakar, ville dont il est originaire. Pegase-21 vous invite, dans ce n°4 qui lui est consacré à découvrir son parcours, sa technique qui est unique et plusieurs facettes de sa personnalité.
Par sa tolérance, son ouverture aux autres et à toutes formes d’expression artistique, ses voyages et ses rencontres, il se définit comme « citoyen du monde ». Son travail est reconnu par les instances sénégalaises et bien au delà des frontières africaines.
Chalys, tu es né à Dakar en 1952. Comment s’est passée ton enfance ? Avais-tu des parents artistes ou proches des milieux artistiques ?
J’ai eu une enfance studieuse et tranquille jusqu’en 1968. Sont venus ensuite les mouvements de grève qui ont secoué la France, mais aussi le monde et l’Afrique n’a pas été épargnée. Faisant partie des grévistes les plus radicaux, j’ai été exclu du lycée en 1970.
Mon père était tailleur et ma mère femme au foyer. Ils n’avaient pas les moyens de m’envoyer dans un lycée privé, je me suis retrouvé à la rue. J’avais 18 ans.
C’est seulement à 23 ans que tu intègres l’Ecole des Beaux Arts de Dakar. As-tu un souvenir qui aurait déclenché ta vocation ?
c’est seul que j’ai décidé de me former à dessiner et à peindre à la gouache et à l’huile avant de réussir, 5 ans plus tard, à 23 ans, le concours d’entrée à l’Ecole des Beaux-Arts;
Mais je me souviens qu’à l’école primaire, notre maître était un excellent dessinateur. Il avait l’habitude de dessiner sur les murs de notre classe, des scènes de la vie quotidienne avec des crayons de couleur. Cela a contribué à me faire aimer les images et les couleurs. Je rêvais de pouvoir faire comme lui !
Quelles sont les matières qui y étaient enseignées et celles qui te plaisaient le plus ?
L’Ecole enseignait le dessin, la sculpture, la peinture et la céramique. J’avais un penchant pour le dessin et la peinture.
A la fin de tes études, tu travailles dans un cabinet d’architecte ? Pendant cette période, tu peins surtout la nuit. Où puises-tu cette énergie ?
Oui, le cabinet d’architecte, c’était pour apprendre et en même temps pour gagner ma vie. J’étais donc projeteur en bâtiment le jour et la nuit je retrouvais ma passion pour la peinture. Cette énergie, je la trouvais dans l’amour que j’ai pour ce métier et dans ma volonté d’aller toujours plus haut.
Parlons du Village des Arts de Dakar : il existait un premier village sur la corniche ? Quels étaient les artistes qui l’avaient créé ?
En 1977 les artistes El Hadj Sy et Aly Samb qui vit aujourd’hui en France, ont été les premiers occupants du premier village des arts de Dakar sur la corniche ouest. Ils ont investi les bâtiments d’un ancien camp militaire devenu Ecole des beaux arts.
J’ai été le troisième pensionnaire mais je ne pouvais pas être permanent parce que je devais continuer mes études j’étais en deuxième année aux Beaux-Arts. Ensuite Babacar Traoré, Moussa Tine, Ismaila Manga, Guibril André Diop et j’en passe, sont venus les rejoindre pour former une communauté pléthorique d’artistes puisqu’on pouvait rencontrer au village des comédiens des musiciens des danseurs venus d’horizons divers.
Quelles étaient les relations qu’ils entretenaient avec le pouvoir en place ? Le président Senghor d’abord, le président Abou Diouf ensuite ?
Senghor entretenait d’excellents rapports avec les artistes. Il était un homme de culture poète et académicien vers la fin de sa vie. Sous le magistére de Abdou Diouf au début des années 80 les artistes ont été expulsés manu militari.
Comment est né le second village, près du stade Léopold Senghor ?
L’actuel Village des Arts abritait les ouvriers chinois qui ont construit le stade Léopold Senghor. On l’appelait alors campement chinois. Après leur départ, le campement est resté inoccupé une dizaine d’années parce que le ministère de la culture et celui des sports se disputaient la cession de l’espace et finalement l’Etat trancha en faveur de la culture.
El Hadji Sy a eu un rôle prépondérant au Village ?
El hadji Sy est un précurseur. Il a été à la base de tout ce qui se fait aujourd’hui, n’en déplaise à certains. Avant lui les artistes sénégalais sous la houlette de Pierre Lodds, initiateur de l’art Poto-Poto de Brazzaville et de la section « Recherche Plastique Nègre » à Dakar, faisaient du « nombrilisme » basé sur le concept de la négritude de Senghor. Ils peignaient principalement à l’huile. Une peinture de chevalet.
El Hadji Sy (El Sy aujourd’hui) a été, sans risque de me tromper, l’un des premiers à peindre à l’acrylique, une technique plus moderne. Ses premières peintures étaient réalisées avec les empreintes de ses pieds sur de grandes surfaces. Je disais qu’il donnait des coups de pied à tout ce qui se faisait à ce moment-là. Il refusait de refaire du « nègre ». Il avait envie d’aller vers les autres en restant lui même.
Comment fonctionne le Village ? Quelles sont les conditions d’admission ?
L’admission au village se faisait sur une simple demande. Ensuite un comité de sélection se réunissait pour procéder à l’attribution des quarante ateliers du village. Dans la convention qui liait les artistes et le Ministère, il était bien précisé que l’artiste, attributaire d’un atelier, ne pouvait y résider que deux ou trois ans au maximum. Ainsi tous les artistes pouvaient occuper les ateliers à tour de rôle. Ce qui n’a pas été le cas.
Tu fais partie d’une nouvelle génération qui bouscule les conventions, comme celle de El Hadji a bousculé la génération de l’ « Ecole de Dakar » ? As tu conscience qu’une génération chasse l’autre ?
Je suis de la génération d’ El Sy, nous avons, tous les deux, été formés par le regretté Paolo Mario Paolucci, notre professeur et mentor. Sous son impulsion, El Sy fait aujourd’hui partie des plus grands peintres d’Afrique. Paolucci nous permis de voyager en Italie pour assister à la biennale de Venise en 1976. Nous avons eu l’occasion de visiter une bonne partie des musées d’Italie de Urbino à Rome en passant par Milan et Venise.
C’est vrai qu’aujourd’hui il y a une génération d’artistes qui bouscule la nôtre. Des jeunes pétris de talent et respectés à travers le monde. Je pense à Soly Cissé, Dout’s, Camara Guéye et le regretté Ndary Lô.
Tu quittes le Village bien avant la date prévue, c’est pour laisser la place aux jeunes ? Une absence d’échanges entre les artistes ?
J’ai quitté le village après seulement neuf mois d’occupation. J’espérais partager mes expériences et profiter de celles des autres. Malheureusement chacun est resté dans son coin s’occupant de ses intérêts personnels. En plus, oui, j’ ai eu le sentiment que je prenais la place des jeunes qui sortaient de l’école et qui avaient besoin d’espaces pour s’exprimer. Notre génération n’avait pas besoin de cette assistance.
Parlons de ta technique particulière. Dès tes débuts, tu te distingues par ton originalité. Tu adoptes une technique qui n’est enseignée dans aucune école de peinture notamment dans l’utilisation de reliefs et de tracés avec du bitume. Doit-on y voir une symbole ?
Ma technique c’est l’utilisation de matières obtenues avec des enduits de peintre, et améliorées avec des liants acryliques et le bitume qui donne un aspect monochrome à l’ensemble du travail, une sorte de camaïeu de bruns. Cette technique n’a aucun symbolisme particulier et, estimant que la couleur est universelle, je rejette l’idée de certains qui parlent de couleurs « africaines ».
Tu représentes des « carrés magiques » appelés « Khatims ». Quelle est leur signification ? Tu intègres également d’autres signes dont l’origine fait partie de ta culture ?
Au début de cette période, je manipule des signes animistes tirés des arts premiers que je considère comme faisant partie de ma culture. Ensuite est apparu le « carré magique », tracé comme un damier et dans chaque case sont inscrits des signes et des lettres arabes agencés selon un ordre précis que seuls les initiés savent. Ce carré magique ou « Khatim » a une fonction protectrice pour les musulmans africains du sud du Sahara. Je ne me suis pas trop intéressé à l’aspect ésotérique mais plutôt à l’esthétique du « Khatim ».
Dans chacune de tes toiles, le lien avec la spiritualité est toujours présent ?
Oui, cette quête de spiritualité m’a conduit plus tard à l’utilisation de certains versets coraniques.
Plusieurs périodes ont jalonné ton parcours artistique. Peux-tu nous décrire chronologiquement ces périodes ?
Ma carrière a connu deux périodes : celle que je viens de citer sur les versets coraniques et celle de mes débuts que j’appelle la période du « bitume flotté ». Je lui ai donné son nom parce que je mixais le bitume liquéfié à froid, avec de l’eau, ensuite je faisais des coulées sur de grandes surfaces pour obtenir un graphisme assez intéressant que je détourais avec de la couleur acrylique. Il faut souligner que cette période était plus colorée que la présente. Je puisais mon inspiration du ciel et mes toiles avaient des noms d’étoiles, d’astres et de constellations.
Tu réalises aussi des « totems » comme sur la photo suivante, prise à Rufisque
Le totem de droite reprend le travail de ma seconde période, celui de gauche est une accumulation de tablettes coraniques en bois, destinées à enseigner le Coran aux enfants. J’ai moi-même étudié le Coran avec ces tablettes.
Tu es marié à Adjara Kane Lèye. Entre elle et toi, il y a beaucoup d’amour et une grande complicité artistique. vous communiquez beaucoup autour de votre art ? Votre dernière exposition « Coup2 coeurs » à la Galerie Nationale de Dakar témoigne de cette fusion ?
Adjara Kane Léye et moi formons effectivement un couple fusionnel. Elle est artiste plasticienne comme moi, céramiste, maquilleuse spécialiste en effets spéciaux, décoratrice et accessoiriste de cinéma. Nous partageons d’ailleurs, le même atelier.
Notre dernière exposition en décembre 2014 peut témoigner de notre complicité. Même si nos carrières ne sont pas forcement liées, nous nous efforçons, autant que faire se peut, de faire beaucoup de choses ensemble.
Par exemple nous sommes allés ensemble à Ziguinchor en Casamance où nous étions invités par l’association « Résidence Z’Arts Casamance ».
Chalys, tu as une relation particulière avec la France. D’abord tu participes à plusieurs expositions, notamment à Paris, Salon des Réalités Nouvelles, Galeries Lafayette, aéroport d’Orly, Salon de Fresnes etc…
Ensuite, en 2002, la ville de Créteil t’attribue un atelier, puis tu es invité par le centre socio-culturel de Landrecies, une petite ville du Nord de la France.
C’était en août 2002 et j’étais accompagné de Mamadou Wade, un autre artiste de Dakar. Nous étions logés dans un quartier populaire de la ville. Je garde un très bon souvenir de personnes que nous avons rencontrées, des artistes, des responsables culturels, des animateurs de centres de loisirs, des habitants. Les gens venaient à notre rencontre ou venaient nous voir travailler.
Cette résidence nous a aussi permis de faire connaissance avec Jean Paul Lemaire, Président de l’Association « Arts-En-Cambrésis » de Busigny et de participer de façon régulière au Festival annuel « Mai en Cambrésis ».
L’année 2003, Le Centre de Landrecies met en place une nouvelle résidence, avec, cette fois, pour m’accompagner, le sculpteur Guibril André Diop et le regretté peintre Séni Mbaye. De son côté, cette année-là, « Mai en Cambrésis » met « Le Sénégal à l’honneur » pour sa 7ème édition.
Pendant plusieurs années, tu reviens régulièrement dans le Cambrésis. On te vois ici avec des peintres roumains pour leur exposition en 2009.
Ces rencontres ont été déterminantes pour la suite de ma carrière et je garde de bonnes relations avec les artistes d’Arts-en-Cambrésis, les dirigeants de l’association, des collectionneurs etc… Je garde un excellent souvenir de ces expositions personnelles, du Lycée Fénelon à la Salle de la Manutention, au Théâtre de Cambrai, mais aussi à Bertry, Caudry, Solesmes.
Je rêve de retourner un jour dans le Nord pour revoir Axel, le jeune Landrecien, Lucas et les personnes merveilleuses que j’ai été amené à connaître.
Plus récemment, tu participes à un workshop international à Sfax en Tunisie ?
Oui, c’est une performance sur l’eau, dans le port de Sfax, sur le thème de « L’immigration clandestine maritime ». J’ai utilisé un mannequin, comme il y en a dans les magasins de prêt-à-porter que j’ai traité avec de l’enduit et du goudron.
Depuis quelques années, tu es attiré par le cinéma et on peut te voir dans plusieurs séries télévisées.
En effet, j’ai fait une brève apparition dans la série « Sakho et Mangane » de Jean Luc Herbulot où je jouais le rôle d’un officier de police. Après un casting réussi, j’ai eu l’occasion de jouer avec de grands acteurs africains : Issakha Sawadogo (Sakho), Yann Gaël (Mangane) et Ndiaga Mbow (Mouss) sous la direction du réalisateur Hubert Laba Ndaw.
Dans la série « Rennaissance » créée par Anna Gomis, je suis Michel un psychologue membre d’une équipe chargée d’aider de jeunes dépendants aux drogues à se réinsérer dans la société. Ca a été une expérience très enrichissante.
Puis un gynécologue dans la série « C’est la Vie », un pasteur dans la série « Wara », l’inspecteur Diop dans « Keneen » de Cheikh Diallo, un psychologue dans un film réalisé par des étudiants d’une école de cinéma à Dakar.
L’Adjudant Dia
dans « Sakho et Mangane »Michel dans « Renaissance » Un gynécologue
dans « C’est la Vie »Un pasteur dans « Wara » L’inspecteur Diop
dans « Keneen »
© Papypro photographyUn psychologue
En fait, tu n’en étais pas à tes premières expériences d’acteur ?
Non, j’avais joué dans « Palanteer M’Bedd » de Mamadou Diop, un court métrage où j’avais le rôle principal. Tourné il y a quatre ans et sorti en 2019, il est inspiré de « Fenêtre sur cour » de Hitchcock, J’y incarne Moussa, un artiste peintre en mal d’inspiration et voyeur. J’étais très à l’aise dans ce rôle.
Le film a eu beaucoup de succès et a été présenté dans une trentaine de festivals à travers le monde et obtenu plusieurs récompenses : Prix de la meilleure image et du meilleur scénario au festival de Limeira au Brésil (J’ai été nominé dans ce festival dans la catégorie meilleur acteur) – Prix du meilleur film au San Francisco Black Film Festival – Prix de la meilleure fiction à Clap Ivoire à Abidjan en Côte d’ivoire – Prix du meilleur film à Image et Vie à Dakar.
En 2020, tu décroches un rôle dans « Mali Twist », le dernier film du réalisateur marseillais Robert Guédiguian ? Le film, qui raconte l’atmosphère festive de Bamako dans les années 1960, est tourné au Sénégal et non au Mali pour des raisons de sécurité. A cause d’une longue coupure liée au coronavirus, le film est au montage et devrait sortir cette année.
Le film a été tourné à Podor, à Saint-Louis et à Thiès. Personnellement, j’ai tourné à Podor et Saint-Louis.
Quels sont tes projets d’avenir ? C’est aujourd’hui difficile pour tous les artistes ! La pandémie a-t-elle une conséquence sur ton travail ?
La pandémie ne m’empêche pas de produire mais je ne peux plus exposer parce que toutes les galeries sont fermées. Vivement que ce virus s’en aille ! En ce qui concerne mes projets, je suis en train de réaliser une installation que j’appelle Congo square. Une oeuvre monumentale avec l’ensemble des tambours africains.
De mon atelier au Centre Culturel Régional Blaise Senghor à Dakar, je rêve d’un monde plus solidaire !!!!